Un passant se met à gesticuler depuis le trottoir. Que veut-il ? Avec son volant imaginaire dans les mains, il braque et contre-braque. Visiblement le brave homme croit encore à cette légende urbaine qui voudrait que les femmes ne savent pas faire les créneaux. Et quand on l'ignore ostensiblement, pour exécuter la plus belle manœuvre de tous les temps, il se met à frapper ses mains l'une contre l'autre. Après s'être frotté les yeux, on les plonge, incrédule, dans le rétro. Le brave homme applaudit, auréolé de ses bons sentiments sexistes.
Homme au volant, mort au tournant
Aujourd'hui les femmes réussissent aussi bien que les hommes l'examen du permis, et elles roulent presque autant. L'utilisatrice principale d'une voiture, parcourt en moyenne 11 200 km/an, alors qu'un homme enregistre 12 500 km/an (TNS Sofres, 2012). Il reste cependant un invariable que l'on pourrait résumer ainsi : "homme au volant, mort au tournant". "Les trois quarts des personnes tuées ou blessées gravement sont des hommes", rapporte le bilan provisoire 2015 de la sécurité routière. Un chiffre stable depuis... 30 ans ! 92% des conducteurs impliqués dans des accidents mortels avec un taux d'alcoolémie positif, sont des hommes ; 89% des permis retirés le sont à des hommes. Selon la TNS-Sofres, les femmes sont globalement plus respectueuses du Code la route, et sont identifiées comme potentiellement "prescriptrices de bons comportements".
Savoir parler aux femmes
"Elles sont clairement sous-représentées dans les accidents de la route. Le principal problème, ce sont les hommes", résume Emmanuel Renard, directeur de l'Education à l'association Prévention routière. Certains psychologues avancent l'hypothèse aussi hasardeuse que caricaturale que la prudence des femmes tiendrait à ce qu'elles donnent la vie et y seraient plus attachées. "C'est lié à l'éducation, de manière général, on laisse plus facilement les garçons prendre des risques que les filles", pense au contraire Emmanuel Renard.
Les constructeurs s'adressent désormais aux femmes, une part de marché croissante, et on assiste à une "féminisation de la voiture" avec des modèles adaptés, pensés pour les femmes. "Auparavant la femme était sur le capot dans une pose lascive, l'homme caressait la carrosserie arrondie de la voiture comme la cuisse d'une femme. Le refrain est connu : je m'approprie la voiture, comme je m'approprie la femme. Le message est dépassé, aujourd'hui les publicitaires se concentrent sur l'usage automobile plus que sur l'objet. La femme est derrière le volant et les constructeurs mettent en avant non plus la performance, la puissance, la vitesse mais la sécurité, la maniabilité, le confort pour les séduire. Des valeurs auxquelles ils pensent que les femmes sont attachées", analyse le sociologue Jean-Marie Renouard, spécialiste des mœurs automobiles.
Assortir sa voiture à son sac à main
N'empêche, derrière cette pseudo-féminisation, la communication demeure très genrée. Dans certaines publicités ciblant les femmes, la voiture (éventuellement associée au nom d'un grand couturier) est présentée comme le dernier accessoire tendance auquel les accros de la mode ne sauraient résister, puisqu'on peut y assortir son sac à main ou son vernis à ongles. Comprendre : la femme est compétente pour choisir la couleur de la voiture, mais c'est toujours l'homme qui soulèvera le capot. De nouvelles publicités qui remuent en fait de bonnes vieilles idées reçues. "Au Brésil, pour vanter la qualité des suspensions avant indépendantes du Pathfinder, Nissan avait fait un spot consistant en un plan serré uniquement sur les seins de la passagère avant...", se souvient Carine Bernard, auteure de www.envoiturecarine.fr, un blog sur lequel on parle d'automobile aux femmes, sans les prendre pour des quiches. "Les femmes aiment conduire, veulent s'informer. Certaines préfèrent s'exclure de ce domaine, ne se sentent pas légitime et c'est dommage." Carine couvre les compétitions auto, un sport qui résiste à la féminisation. Elle a réalisé "un best of des commentaires sexistes des pilotes" qui vaut le détour. "Au grand prix de Monaco 2015, il y avait pour la première fois des hommes parmi les grid girls (jeunes femmes sexy et bien roulées qui agitent des drapeaux sur le circuit, ndlr). Mais les pilotes se sont plaints, ils ne veulent que des filles !"
Bientôt des voitures fabriquées par les femmes ?
Aujourd'hui 46 % des femmes achètent leur voiture seule et préfèrent s'informer sur le web plutôt que de demander à leur conjoint. Elles plébiscitent les marques françaises et font preuve de rationalité pour arrêter leur choix, cherchant le meilleur rapport qualité/prix, quand les hommes craqueront plus facilement pour la voiture de leurs rêves. Elles regardent d'abord le prix, puis la consommation et enfin le design. Le réseau professionnel mixte Women and Vehicles in Europe (WAVE) milite depuis huit ans "pour faire comprendre que le secteur automobile a besoin des femmes", explique Elisabeth Young, sa présidente. "Les constructeurs ont besoin d'elles pour concevoir des modèles qui prennent réellement en compte leurs attentes. Le secteur est passionnant, avec beaucoup de métiers différents ; les femmes sont attendues mais elles ne veulent pas y aller. Elles sont présentes en communication, en RH, sous le plafond de verre mais quasi absentes dans les branches commerciales, en ingénierie ou encore en production. Et c'est la base du problème."