Retour en arrière et perspectives : Mathieu Rabaud, chef de projet Connaissance et Analyse de la mobilité au Cerema (Climat et territoires de demain), décrypte en avant-première les grands enseignements de ce bilan.
Analyser les mobilités du quotidien, c'est tenter de trouver des réponses pour réduire leur impact environnemental. « Ce document a pour ambition de servir à l'avenir de point de référence sur 'le monde d'avant', souligne le Cerema sur son site. Entre 2010 et 2020, il s'est passé beaucoup de choses, il serait dommage de ne pas les passer en revue et de ne pas capitaliser les données disponibles comme un témoignage d'une époque (révolue ?). » L'ouvrage à paraître dans les semaines à venir croise les données de l'enquête réalisée en 2019 au niveau du territoire métropolitain par le SDES sur les déplacements d'un jour donné de 13 000 personnes interrogées, jusqu'à 80 km. Autres sources : les enquêtes de mobilité certifiées Cerema et réalisées par les collectivités locales, sans limite de distance. « Chaque année, nous avons entre 4 et 8 enquêtes réalisées, soit entre 10 000 et 20 000 personnes interrogées, précise Mathieu Rabaud, chef de projet Connaissance et Analyse de la mobilité au Cerema. Elles concernent davantage les agglomérations que le territoire rural, mais sur la question du changement climatique, la congestion/pollution est plus concentrée sur les agglos. Ces enquêtes sont donc très pertinentes pour avoir des éléments de réponses et dégager de possibles solutions. »
Ce qui sort de l'analyse des mobilités sur la décennie 2010, c'est que globalement, on a l'impression d'un mieux, mais en trompe-l'œil. « Si la part modale de la voiture est en baisse, les distances parcourues sont en hausse, relève Mathieu Rabaud. Or si les distances augmentent, la consommation d'énergie aussi, et donc la pollution. » En 2008, on enregistrait 970 millions de véhicules par kilomètre, en 2019 105,3 millions, soit une augmentation de 8,5 %. « La moyenne du déplacement en voiture avec une seule personne à bord est passée de 10,5 km à 11,9 km », ajoute le chef de projet. La raison ? « Les gens habitent plus loin de leur lieu de travail, rappelle Mathieu Rabaud. Cela est rendu possible par la création de nouvelles infrastructures routières, de contournements, qui incitent à quitter les centres urbains. Certes le foncier est moins cher, mais dans un contexte plus récent, l'économie réalisée est annulée avec la consommation de carburant. »
Quid de l'intermodalité ? De l'usage des transports en commun ? Des mobilités douces ?
L'intermodalité
C'est lorsque l'on utilise deux modes de transport pour un déplacement, comme la voiture et le train, ou le vélo et le tram. « Cette pratique a tendance à augmenter, mais cela reste très marginal dans l'usage du quotidien, constate Mathieu Rabaud. Par rapport à l'ensemble des flux qui peuvent exister, l'usage du train est faible. » Et la trottinette électrique ? « Ce phénomène n'a émergé qu'en deuxième moitié des années 2010, et reste dans une proportion très faible, avec 0,15% des déplacements entre 2017 et 2019 », rappelle-t-il. Toutefois, la tendance est à la hausse et présente plusieurs avantages. « On vend plus de trottinettes électriques que de vélos électriques, la trottinette est très intéressante d'un point de vue mobilité. Elle prend peu de place, elle permet d'utiliser d'autres modes de transport, elle se recharge facilement et est assez facile d'accès, même si elle nécessite certaines compétences. » Et le respect du partage de la voie publique, rappelons-le.
Les transports en commun
Leur usage reste stable. « On constate que les territoires qui ont investi dans des transports en commun à haut niveau de service arrivent à faire progresser leur fréquentation et leur usage », note-t-il. En revanche, « les transports en commun se heurtent à la politique du coût pour les collectivités. Développer le vélo revient beaucoup moins cher, le coût d'exploitation est moindre aussi. » Depuis la pandémie, on observe aussi des modifications de comportements, par peur du virus. « Nous ne sommes pas revenus sur le même niveau de fréquentation d'avant 2020. On observe un report sur la voiture, le vélo. Certains déplacements ont aussi disparu avec le télétravail. » Comment cela va-t-il évoluer une fois la situation sanitaire réglée ? « Nous sommes un peu sur un point d'interrogation », reconnaît le spécialiste qui rappelle néanmoins que nous devons aujourd'hui aller vers une mobilité moins intense en carbone.
Une solution : le covoiturage
« Dans nos données, nous voyons qu'il a du mal à décoller dans les déplacements du quotidien. » Pas assez rentable, trop de perte de temps. « Mais il existe des leviers pour inciter à son développement, rappelle-t-il. Comme la mise en place de voies réservées sur les axes principaux en milieu urbain, comme cela est déjà le cas à Lyon. » Ou en bénéficiant d'un « Forfait mobilité durable » qui permet aux entreprises de verser une prime annuelle à leurs salariés qui font l'effort de venir au travail à plusieurs, à vélo, à pied ou en trottinette.
Et le vélo ?
« La pratique du vélo est stable entre 2008 et 2019, mais cette stabilité est en trompe-l'œil, souligne Mathieu Rabaud. En 2010, l'usage des adolescents s'effondre au profit de la voiture ou des transports en commun. Ils ont été remplacés par les jeunes adultes, étudiants ou actifs, dans les centres urbains. » Mais sa pratique pourrait se développer, comme cela s'est fait à Amsterdam dans les années 1970 : « La pratique du vélo est née à Amsterdam d'une grande prise de conscience de l'insécurité routière en ville, rappelle-t-il. Le phénomène s'est ensuite amplifié avec les chocs pétroliers. » Mais pour développer la pratique, « il faut des aménagements sécurisés et sécurisants. »
La question de la mobilité des néo-retraités
« Les néo-retraités sont plus consommateurs de voitures qu'il y a dix ou vingt ans, révèlent les chiffres. En 1998, 42 % des 65-74 ans utilisaient leur voiture pour se déplacer, en 2016, ils étaient 50 %. Cela s'explique notamment parce que les femmes retraitées d'aujourd'hui ont plus souvent le permis que celles d'hier. » Une population beaucoup plus difficile à toucher pour les politiques de mobilité, « car leurs déplacements sont plus souples et peu structurés. Il est difficile de leur proposer une offre alternative de qualité à la voiture. » Un véritable enjeu.
Et demain ?
« Les transports ne sont pas sur la bonne trajectoire, nous sommes loin des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les scenarii pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 nécessitent que l'on mette tous les curseurs à fond en couplant les solutions technologiques, comme l'électrique ou l'hydrogène mais aussi en réduisant les déplacements longues distances. L'un ne va pas sans l'autre. » Petite note positive néanmoins : « En termes de qualité de vie pour réduire les congestions sur les routes et dans les transports en commun, nous avons en main des leviers pour améliorer les choses et aller vers du mieux ! »
Quelques chiffres parlants…
- 46 % des déplacements au volant d'une voiture ont une portée inférieure à 3 km... et 35 % inférieure à 2 km...
- Une stabilité de la mobilité un jour de semaine (3,05 déplacements par personne et par jour contre 3,1 en 2008)
- Une progression le week-end (2,6 contre 2,3 le samedi, 2 contre 1,4 le dimanche)
- Un recul de la part modale de la voiture 63 % pour 64,8 % en 2008
- Une progression de la marche 23,5 % pour 22,3 % et des transports collectifs 9,1 % pour 8,3 %), et une stabilité du vélo (2,7 %)
- Malgré cette relative stabilité, le transport intérieur de voyageurs a progressé de près de 5 % entre 2012 et 2019 (en voyageurs kilomètres)
Pour aller plus loin
- Pour connaître le détail de l'étude de la Cerema, n'hésitez pas à revoir le webinaire consacré et de consulter le document chiffré en attendant l'ouvrage qui sera téléchargeable sur le site.