"A vendre. Points de permis B, 700 euros l'unité, lot possible jusqu'à 4, tarif dégressif". Ce genre d'annonce pullulait encore, il y a peu sur le web. Un business juteux qui s'est développé dans l'hexagone au début des années 2000, surfant sur la précarité grimpante et le renforcement de la répression des délits routiers. Ainsi, en 2013, 13,5 millions de points ont été retirés, dont 7,7 millions pour excès de vitesse.
Si ce n'est toi, c'est donc ta grand-mère
La combine, auparavant, ne sortait pas du cadre familial. Flashé par un radar automatique, le conducteur inscrit sur la requête de demande en exonération accompagnant le PV le nom de sa grand-mère, par exemple. La brave dame confirmera par la suite qu'elle était bien au volant.
Comme dans 75 % des cas, les radars automatiques photographient l'arrière du véhicule, rendant très difficile l'identification du conducteur, le tour est joué. Puis, il y a ceux qui épargnent la grand-mère et ne désignent personne ; la dénonciation n'étant pas une obligation pénale. Les contrevenants payent l'amende mais pour échapper au retrait de points, ils doivent s'enfoncer encore dans l'illégalité en produisant de faux justificatifs censés prouver qu'ils ne pouvaient être au volant (voyage d'affaire, vacances lointaines, etc.).
Le centre national de traitement des infractions routières (CNT) est débordé par l'afflux de courriers de désignation d'un autre conducteur : il en a reçu 2,5 millions en 2012, soit un million de plus que six ans plus tôt... Une véritable inflation qui constitue le principal obstacle au recouvrement des contraventions. De plus en plus d'enquêtes sont diligentées localement, dès que l'histoire contée par le propriétaire de la voiture apparaît farfelue. En effet, la grand-mère de 90 ans pensionnaire d'une maison de retraite flashée un samedi soir à 150 km/h aux abords d'une boîte de nuit, c'est somme toute peu crédible...
Quand la police traque les délinquants routiers sur la toile
Et puis, il y a les conducteurs flashés mais dont la grand-mère a déjà épuisé tous ses points. C'est ceux-là, entre autres, qui ont fait les beaux jours du trafic de points sur le web. Une magouille totalement illégale. Ils désignent un illustre inconnu qui, contre une somme d'argent, essuie le retrait de points.
Les enquêteurs de l'unité de traitement judiciaire des délits routiers (UTJDR) ont patrouillé sur la toile dès l'été 2012. "Nous avons mené 56 procédures dans toute la France. Chaque personne identifiée a été entendue. C'est une grande fierté pour nous, le phénomène a été enrayé", explique le capitaine Sandrine Dupret, responsable de l'unité parisienne. Les policiers n'ont pas seulement démasqué les vendeurs et acheteurs, ils se sont aussi attaqués aux sites web hébergeant ces annonces illicites. Sur certains, il apparaissait, à la grande époque, une rubrique "permis de conduire", à côté des classiques "immobilier", "mode", "emploi"... et l'unité spécialisée est parvenue à rayer de la toile des sites spécialisés comme vente-points-permis.com.
La loi Loppsi II de mars 2011 a fait de ce trafic un délit spécifique, passible de 6 mois de prison et de 15 000 euros d'amende.
Contrefaçons et vrais permis étrangers obtenus frauduleusement
60 % des affaires traitées par l'UTJDR sont liées au permis de conduire. "En 2014, 2791 personnes ont été interpelées pour infraction au permis de conduire, rien que sur l'agglomération parisienne, périphériques compris. C'est considérable. (...) Beaucoup de personnes roulent sans permis ou présentent un faux document, ce qui revient au même : défaut de permis (1 410 cas en 2014)", explique le capitaine Sandrine Dupret.
Ces permis falsifiés sont des contrefaçons de permis étrangers, africains dans 80 % des cas ou d'Europe de l'Est. Des faux permis français, l'unité n'en voit jamais. 270 contrefaçons étrangères ont été saisies en 2014, un chiffre stable par rapport aux années précédentes mais en-deçà de la réalité. Car sont comptabilisées dans les chiffres officiels uniquement les affaires qui entraînent une condamnation... "Pour un défaut de permis (passible d'un an de prison et 15 000 euros d'amende, ndlr), la réponse judiciaire est souvent faible : un rappel à la loi ou un classement (...). On peut comprendre que les tribunaux, déjà très surchargés, n'aient pas envie de s'encombrer de pareils dossiers... Mais cela démotive parfois la police. Il suffit de lire les PV d'audition, les personnes reconnaissent conduire sans permis et disent qu'elles continueront parce qu'elles n'ont pas d'argent, parce qu'elles ne risquent pas grand-chose", soupire le capitaine qui s'inquiète de la "contraventionnalisation" de certains délits routiers.
Une préconisation émise l'année dernière par des parlementaires, évoquée par la Garde des Sceaux, et visant à éviter le tribunal aux chauffards. Outre les contrefaçons, il y a aussi des vrais permis étrangers obtenus de manière frauduleuse. "Les personnes se rendent à l'étranger, achètent un véritable permis officiel sans jamais prendre une seule heure de conduite ni passer d'examen. Inutile parfois de prendre l'avion, il suffit d'aller dans le 18e arrondissement de Paris pour en acheter à 150 ou 200 euros. De vrais permis étrangers qui peuvent ensuite être convertis en préfecture en un permis français." L'échange est ceci dit soumis à des conditions strictes. Si le demandeur est français, il doit avoir résidé au moins six mois à titre permanent dans le pays où le permis a été délivré.
Le rapport de Marc Le Fur de 2010, juge ce phénomène des vrais faux permis étrangers en pleine expansion "préoccupant". Le député UMP remarquait que la France avait signé 90 conventions internationales d'échange de permis quand ses voisins européens se limitaient à une dizaine. Et puis, en matière de permis, il y a tout ce qui se situe aux limites du légal, une vaste étendue nommée la mauvaise foi. Elle s'exprime notamment à travers les "conduites malgré invalidation de permis". En 2014, l'unité du capitaine Dupret a traité près de 1 200 affaires de ce type dans l'agglomération parisienne. "Il s'agit de conducteurs qui se sont vus retirer tous leur points. Ils reçoivent un courrier par recommandé leur signifiant qu'ils doivent remettre leur permis de conduire en préfecture. Sauf qu'ils ne vont jamais chercher leur recommandé ! Aux yeux de loi, c'est comme s'ils ne savaient pas qu'ils n'avaient plus le droit de conduire", déplore-t-elle.
Des astuces de la sorte, il en existe des dizaines. Des bouquins, sites internet répertorient toutes les techniques pour échapper à la loi. Des avocats en ont fait leur fonds de commerce, traquant la moindre faille, la moindre rature ou omission sur un PV, exploitant les silences et les lacunes du code de la route. Là encore, un juteux business.
Pour aller plus loin :
Les règles en matière d'échange de permis étrangers
Rapport Le Fur sur le détournement des procédures déchange de permis étrangers